20 Avril 1943
Dans la nuit de l'oppression, comme au grand jour des batailles, la France pense à son avenir.
Cette volonré de revivre et de reconstruire démontre la vitalité puissante de la nation. On dirait que chaque larme ajoutée à ses larmes, que chaque combat joint à ses combats, ne font qu'affermir sa conscience de ce qu'elle veut et sa foi dans ses destinées. Malgré ses épreuves terribles, notre peuple se sait et se sent assez riche d'idées, d'expérience er de force pour rebâtir, comme il l'entend, l'éclifice de son avenir.
Cet édifice sera neuf. Sur tous les champs de souffrance et de lune, où sa misère et son combat reforgent un peuple lucide et fraternel, la masse immense des Français a décidé, qu'à peine reparu le soleil de la liberté, elle marchera par une route nouvelle vers des horizons nouveaux.
Certes, la nation, qui ne connaît d'autre souverain qu'elle-même, exige qu'à mesure de sa libération soient remises en vigueur les lois qu'elle s'est naguère données. Certes, la nation entend que, sur chaque pouce délivré de ses terres, soit balayée, sans aucun délai, cette caricature de fascisme dont Vichy l'a défigurée. Mais eUe n'en a pas moins condamné l'impuissance politique, le déséquilibre social et l'affaissement moral, qui paralysèrent le système confondu avec son désastre.
En vérité, tandis qu'il lutte contre la tyrannie de l'ennemi et des serviteurs de l'ennemi, le peuple français n'a jamais, dans toute son Histoire, été plus ardemment résolu d'être le maître chez lui.
Une démocratie réelle, où ni jeux de profes-sionnels, ni marécages d'intrigants ne troublent le fonctionnement de la représentation nationale, où, en même temps, le pouvoir, qui aura reçu du peuple la charge de le gouverner, dispose organiquement d'assez de force et de durée pour s'acquitter de ses devoirs d'une manière digne de la France, voilà, d'abord, ce qu'il veut se donner.
Un régime économique et social tel qu'aucun monopole et aucune coalition ne puissent peser sur l'Etat, ni régir le sort des individus, où, par conséquent, les principales sources de la richesse commune soient ou bien administrées ou, tout au moins, contrôlées par la nation, où chaque Français ait, à tout moment, la possibilité de travailler suivant ses aptitudes, dans une condition susceptible d'assurer une existence digne à lui-même et à sa famille, où les libres groupements de travailleurs et de techniciens soient associés organiquement à la marche des entreprises, telle est la féconde réforme dont le pays renouvelé voudra consoler ses enfants.
Sur ces bases matérielles, enfin, notre peuple aspire, désormais, à une vie nationale élevée, où ce qui est bien et beau soit respecté, protégé, exalté, où la pensée, la science, les arts, les religions, les forces spirituelles, aient le rang que mérite leur noblesse, où les familles soient honorées, aidées, favorisées, en proportion du nombre des fils et des filles qu'elles ajoutent à la patrie.
Oui, c'est de cela que rêvent, sur tous les champs de souffrance et de lutte, les Français rassemblés dans la volonté de vaincre. Ils savent que, dans cette voie seulement, ils établiront solidement leur communauté nationale et qu'ainsi leur sera reconnue la place de choix qui leur revient dans la communauté internationale.
Dans une Europe, qui reprendra sa marche suivant le rythme rapide et net de la technique moderne, dans un monde restreint par la vitesse, l'osmose des idées, l'ubiquité des intérêts, les Français pressentent à quel rôle éminent est appelé le génie de la France.
Pour animer et conduire, demain, cette nation renouvelée, il faudra des cadres nouveaux. La faillite des Corps qui se disaient dirigeants ne fut que trop claire et ruineuse. Tout ce qu'elle subit, la France ne l'aura pas subi pour reblanchir des sépulcres. C'est dans la résistance et c'est dans le combat 'qu'en ce moment se révèlent les hommes que notre peuple jugera dignes et capables de diriger ses activités.
De ces jeunes hommes vaillants, trempés par le danger et élevés au-dessus d'eux-mêmes par la confiance des autres, la patrie peut attendre, demain, le dévouement, l'initiative, le caractère, qu'ils prodiguent héroïquement pour la servir dans la guerre.
Les leçons de ses malheurs, et, bientôt, soyons-en sûrs, la fierté de sa victoire, auront bouleversé la France jusqu'aux entrailles. Mais, c'est dans les terres profondément labourées que croissent les plus riches moissons. Souvent, dans notre Histoire, nos épreuves nous ont faits plus grands. Cette fois encore, nous saurons ranimer la flamme des aïeux au lieu de pleurer sur leurs cendres: « C'est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à sa source. »