Le triomphe provisoire du national-capitalisme chinois
Par Jean-Michel Quatrepoint, éditorialiste à la Lettre A. Qui explique pourquoi le colosse chinois a des pieds d'argile...
Que de chemin parcouru depuis le congrès historique du Parti communiste chinois en 1978, qui vit Deng Xiaoping engager délibérément son pays sur la voie de l'économie de marché ! En trente ans, l'empire du Milieu est devenu la seconde puissance économique mondiale. Il accumule, grâce à ses excédents commerciaux, les réserves de change : 1 760 milliards $ fin mai ! A titre de comparaison, ce montant représente plus de huit fois la totalité des réserves de la zone euro. Et chaque année, la Chine attire plus d'investissements étrangers : 82 milliards $ en 2007.
Leçons de libéralisme
La croissance chinoise ne se dément pas. En mai, la production industrielle a encore augmenté de 16%. Le tremblement de terre a été l'occasion pour le régime de montrer à la face du monde que - contrairement à ce qui s'était passé à la Nouvelle-Orléans -, il savait gérer les grandes catastrophes naturelles. Les Chinois n'hésitent plus à donner une leçon de libéralisme aux Américains, dénonçant tout à la fois leur gestion irresponsable du taux du dollar, leur protectionnisme qui bloque les investissements chinois aux Etats-Unis, et l'opacité de leurs règlementations… Ce qui fait dire avec quelques grincements outre-Atlantique que c'est l'hôpital qui se moque de la charité. Bref, tout est en place pour que le triomphe du modèle chinois de développement - un mélange d'hyper-capitalisme et de parti unique, sorte de national-capitalisme - soit consacré à l'occasion des Jeux olympiques.
Explosion des prix. Pourtant, les Chinois devraient méditer sur l'histoire de Rome, et savoir que la roche Tarpéienne est souvent proche du Capitole. Les lendemains des Jeux olympiques pourraient bien être amers. Les plus lucides des dirigeants chinois en sont conscients. Car les clignotants s'allument les uns après les autres. Le plus grave concerne l'inflation. Elle atteint près de 8%. Les salaires ont augmenté en moyenne de 20% en un an. Dans le textile, le coût salarial devrait encore progresser de 16% cette année. Les coûts des matières premières, pas seulement du pétrole, mais aussi de l'acier, ont explosé en deux ans. Compte tenu de la réévaluation du yuan par rapport au dollar (20% depuis 2005), les prix du made in China, exprimés dans la monnaie américaine, croissent de 25% par an.
Bourses en berne
Autre clignotant à l'orange : le marché boursier. Les Bourses de Shanghaï et de Shenzhen ont plongé de 54% depuis octobre. Au total, la capitalisation boursière a fondu de 2 200 milliards $. On peut y voir un salutaire dégonflement d'un marché très spéculatif. Reste que la nouvelle classe moyenne chinoise est en passe de perdre une partie de ses économies. Si le marché baisse, c'est en raison des craintes d'inflation, mais aussi parce qu'on s'attend pour la première fois à une baisse des bénéfices des entreprises chinoises en 2009. Du coup, les multinationales commencent à freiner leurs investissements dans le pays. Or, depuis vingt ans, ce sont elles qui mènent le jeu, en grands maîtres de la globalisation, avec comme modèle de gestion : toujours plus loin, toujours moins cher.
Nouveaux dragons. La Chine devenant un peu moins compétitive, il faut donc aller chercher ailleurs des coûts salariaux inférieurs. Les entreprises chinoises, notamment celles de la diaspora, n'étant pas les dernières à amorcer le mouvement. Tout le monde se rue désormais sur le Vietnam, le Cambodge, les Philippines. Mais ces pays ne sauraient remplacer «l'atelier du monde» qu'est devenue la Chine.